Après les beignets, vient le temps de l’université à Lubumbashi, la vente de haricots cette fois à la frontière zambienne pour financer ses études en relations internationales, et bientôt un esprit d’observation qui fera basculer sa vie. Elphine Kakudji se marie, regagne Kinshasa et observe. Elle observe ces chauffeurs de taxi qui remplissent les réservoirs de leurs véhicules, toujours a minima faute de moyens, et tombent parfois en panne sèche ; l’idée jaillit de mettre à leur disposition des bidons d’un litre d’essence. Elle consacre son budget nourriture à l’achat des cinq premiers litres ; ils sont écoulés en moins d’une heure. Sa vocation est née et son surnom est trouvé. On l’appelle désormais « Elf Station ».
Du litre au baril, Elphine Kakudji bascule de l’informel à l’entreprise pétrolière. Aux chauffeurs de taxi sur les bords de route, s’ajoutent très vite d’autres clients, parmi lesquels des habitants des quartiers résidentiels de Kinshasa, à la recherche d’essence pour leurs générateurs. Le projet change radicalement de dimension le jour où un client lui passe commande d’un camion entier de gasoil. Elle honore naturellement la commande, se voit contrainte d’établir sa première facture dans un cyber café. Elle improvise le nom d’une société. Ce sera Sokam Holding, pour « Société Kapubu Moyo », un clin d’œil à son nom de jeune fille.
Soucieuse de franchir une nouvelle étape, Elphine Kakudji entend désormais faire partager son parcours, être une éclaireuse, convaincre d’autres jeunes femmes « qu’il faut savoir affronter, ne pas avoir peur du challenge, car le risque de l’immobilisme c’est de rester un petit misérable » ; Elle a donc créé une fondation pendant la COVID-19, « une façon, dit-elle, de rendre ce que Dieu m’a donné ». Elle partage son expérience au moyen de conférences, de livres et de podcasts. Elle aime rappeler qu’elle a toujours pu compter sur l’appui sans faille de son mari, un soutien de chaque instant. Lorsqu’elle évoque leur relation, elle souligne la fierté qu’il éprouve devant sa détermination. Elle lance avec émotion : « il est tellement fier ; il me soutient beaucoup. C’est mon bébé, mon premier enfant, mon complice aussi ».
Volontaire, cette chef d’entreprise ambitieuse se fixe déjà de nouveaux défis personnels. Elle a repris des études à New York, à l’université de la Guardia pendant six mois, puis ce sera Harvard. Après le Congo, l’entrepreneure se construit en effet désormais un parcours à l’international et envisage « de défendre des grands dossiers » dans une nouvelle vie de « businesswoman à l’international avec des clients partout dans le monde ». Dans sa bouche, les mots se bousculent déjà en anglais. Mais elle n’oublie jamais pour autant son pays natal à propos duquel elle ne cache pas son désarroi lorsque l’on évoque cette guerre qui dure. Elle lâche alors : « cela me brise le cœur, j’ai envie de pleurer ». Citoyenne du monde, optimiste et extravertie, Elphine Kakudji sait qui elle est et d’où elle vient ; elle demeure une enfant du Congo Kinshasa.